« Nous les livrons aux chiens » : prostitution des enfants placés, trois départements dont les Bouches-du-Rhône visés par des plaintes

Écrit par le 1 mai 2025

Ce mercredi 30 avril, une trentaine de familles d’adolescents placés portent plainte contre trois présidents de départements en France, dont les Bouches-du-Rhône. Ils accusent les élus de ne pas avoir protégé leurs enfants tombés dans la prostitution contre les réseaux de proxénètes.

« À Marseille il n’y a pas un foyer où je n’ai pas mis les pieds, où il n’y a pas de prostitution ». Le constat est sans appel. Au micro de France Info, Jennifer Abitbol raconte le quotidien sordide des adolescentes placées, auquel elle est confrontée comme éducatrice spécialisée.

À 22h, elles sortent en string, et les voitures des clients défilent.

Témoin privilégié de cette réalité vécue dans les foyers qui accueillent les enfants placés, l’éducatrice des Bouches-du-Rhône raconte : « Les gamines à partir de 22 heures se préparent, il y en a même qui sortent en string. C’est filmé, il y a les voitures qui défilent avec leurs plaques ». Lors de ses missions au sein de ces structures gérées par l’Aide sociale à l’Enfance (ASE) départementale, cette lanceuse d’alerte a bien essayé de tirer la sonnette d’alarme, de dénoncer le système. En vain. « On me dit que les filles, on ne peut pas les retenir ». Face aux proxénètes qui les prennent sous leur aile, le combat est trop inégal.

Plainte des familles

Dans les Bouches-du-Rhône, dans l’Essonne et dans les Yvelines, des parents et des enfants victimes ont décidé de briser le tabou et de se battre. Ce mercredi 30 avril, ils ont déposé un recours en justice contre les présidents des trois départements pour « faute en responsabilité », les accusant de ne pas avoir su protéger les enfants placés sous leur responsabilité.

Séquestrée dans un Airbnb et contrainte à des passes

Dans les Bouches-du-Rhône, « Lilas » [prénom d’emprunt] fait partie des plaignantes. Victime de violences conjugales, cette jeune mère dépose plainte contre son mari en 2018, mais les services sociaux décident de placer en foyer ses deux filles de 8 et 10 ans. Elle raconte à France Info la descente aux enfers de sa fille ainée, les fugues. Le réseau de prostitution qui la happe quand elle a 13 ans. Et ce message Whatsapp en octobre 2022 :

On lui a fait prendre de la cocaïne, on l’a forcée à faire des passes.

« Nous livrons les enfants aux chiens »

Avocat au Barreau de Marseille, Maître Michel Amas défend une trentaine d’enfants ; c’est lui qui va plaider devant les tribunaux de Marseille, Versailles et Evry. Il dénonce un « phénomène national ». « Nous lançons l’alerte pour que tout le monde sache qu’en France, à l’heure actuelle, des petits garçons et des petites filles se prostituent en très grand nombre, dans l’inaction totale des présidents de département », affirme cet avocat.

Une association aide les mineures prostituées à s’en sortir

À Marseille, Lyon, Paris et dans quelques autres établissements français, l’association « l’Amicale du Nid » accueille et accompagne depuis près de 80 ans les femmes et hommes victimes des réseaux de prostitution. Elle dispose désormais d’un service dédié à la lutte contre la prostitution des mineurs.

Les membres de l’Amicale du Nid parcourent les réseaux sociaux pour identifier les adolescents victimes. C’est sur ces sites spécialisés qu’elles sont d’abord repérées par les réseaux de proxénètes, puis recherchées par les clients. Ces jeunes mineures y sont présentées comme des marchandises, notées et leurs prestations commentées. Grâce à sa « maraude numérique ». l’association établit un contact avec ces victimes, pour les amener à se confier, les signaler aux autorités et les guider dans une action en justice.

Philippe Andrès le directeur de l’antenne héraultaise de l’association explique que tous les mineurs pris dans les filets des proxénètes ont un profil identique. Victimes de violences intrafamiliales ou sexuelles, avant d’être recrutées souvent au moment du placement dans le foyer. Et les proxénètes ont changé de visage. Ils sont aujourd’hui en lien avec le narcotrafic. Ils vendent des filles comme ils vendent des stupéfiants. Un marché très lucratif qui peut leur rapporter « jusqu’à 15 000 euros par mois par mineure ».

15 000 mineurs placés victimes de prostitution, selon l’ACPE
Il n’y a de chiffre officiel. Et pour cause, la prostitution des mineurs et mineures placés ne fait l’objet d’aucune déclaration ni recensement. Pour autant, les associations constatent une explosion du phénomène dans les dernières années, qui toucherait des jeunes filles en grande majorité, toujours plus jeunes. Docteur en psychologie, Aziz Essadek a tenté en 2023 un état des lieux dans son département de l’Essonne pour le compte de l’association Acpe (Agir contre la prostitution des enfants). En extrapolant ses chiffres à l’échelle nationale, il estime que 15 000 mineurs hébergés dans les centres de l’Aide Sociale à l’Enfance pourraient se prostituer.

119 : le numéro de l’aide à l’Enfance en danger
Vous êtes victimes ? Parent ou proche de victime ? Témoin ? Les autorités ont mis en place une plateforme nationale d’écoute téléphonique, avec un service dédié à la prostitution des mineurs. Le numéro est gratuit, et joignable 24/24 7/7. Dans les Bouches-du-Rhône, vous pouvez également c contacter la Cellule départementale de recueil des informations préoccupantes des Bouches-du-Rhône, en composant le 04 13 31 13 31.

Info LM / AFP


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